Moustapaha Diop, ministre du développement industriel: « Le Sénégal compte 2156 entreprises industrielles répertoriées. Le nombre d’emplois est estimé à environ 75 000 »

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Il est sa 8e année dans le gouvernement, mais il a toujours favorisé une communication par les résultats dans les différents départements qui lui ont été confiés par le Président Sall. Depuis qu’il est nommé ministre, en 2014, Moustapha Diop n’a jamais accordé de grande interview. Ce privilège est revenu à nos confrères de L’Obs. Le ministre du Développement industriel et des Petites et moyennes industries (Pmi) a répondu aux questions envoyées par mail sur les sujets de l’heure qui concernent son département.

M. le ministre, le chef de l’Etat a instruit le gouvernement à tenir un conseil inter ministériel pour l’évaluation et la mise en place d’une stratégie d’industrialisation. Mais cela ne peut se faire sans diagnostic.
Quel est l’impact de la crise Russo-Ukrai-nienne sur l’industrie sénégalaise ?

 

La crise russo-ukrainienne est d’une autre nature avec des conséquences plus graves sur le secteur industriel. Alors que nous étions dans une dynamique de relance post-Covid, l’invasion de l’Ukraine par la Russie, en février 2022 et les sanctions infligées à cette dernière, ont entraîné une perturbation des chaînes d’approvisionnement et une hausse généralisée des prix dans les secteurs des denrées alimentaires, des engrais, de l’énergie et des intrants de toutes sortes. Dans le secteur industriel sénégalais , on a noté une hausse des principaux intrants. Le coût du fret a augmenté de l’ordre de 100%, les délais d’approvisionnement ont été aussi rallongés entraînant des surestaries plus élevées. Et tout cela, combiné avec une parité défavorable entre l’Euro et le Dollar.
Pour le secteur des industries meunières, le prix du blé a connu une hausse de plus de 130%, le maïs, le soja, les tourteaux de soja et
d’arachide qui entrent dans la production d’aliment de bétail/volaille ont augmenté respectivement de 147%, 110% et 60%.
Toujours dans le secteur agroalimentaire, on observe la même hausse sur les huiles brutes de soja et de palme (entre 80 et 85 %), sur le lait (+30%), autre sur le triple concentré de tomate importée (+67%) etc.
On observe la même tendance haussière sur tous les emballages (préformes PET+8%, cartons, bouchons, feuilles et boîtes métalliques 67%, fûts métalliques vides +120%, étiquettes +8%, bouteilles, +7%, sacs +30%, etc.) Dans le secteur de la cimenterie, la houille qui représente jusqu’à 40% de l’ensemble des charges de certains cimentiers, a vu son cours international multiplié par 4, comparé au début de l’année 2021. Le prix fuel, utilisé dans presque toutes les industries, a connu aussi une hausse de +52%.

 

Quel est le nombre d’entreprises mobilisées et de salariés employés par l’industrie sénégalaise?

 

D’après les chiffres disponibles au niveau du Centre unique de collecte de l’information (Cuci), le Sénégal compte 2156 entreprises industrielles répertoriées. Le nombre d’emplois est estimé à environ 75 000. Le dernier état des lieux que nous avons fait sur le secteur industriel remonte à 2015. Depuis lors, nous avons connu des chocs exogènes qui ont eu des répercussions sur le tissu industriel. C’est pourquoi, j’ai décidé de réaliser une étude actualisée de l’état des lieux du secteur, pour disposer de données et d’indicateurs plus fiables. Cet état des lieux est très important dans la perspective de la mise en place de l’Observatoire national de l’Industrie.

 

Quels sont les scénarios de reprise et quels sont les secteurs prioritaires cibler pour réussir la relance du secteur ?

 

La crise sanitaire, ses effets et les fragilités structurelles qu’elle a mises à jour, ont amené le gouvernement à recentrer ses priorités économiques. C’est ce qui a justifié l’élaboration d’un Plan d’actions prioritaires ajusté et accéléré (PAP2A). Dans ce plan, notre secteur est au cœur des enjeux, pour accélérer «la souveraineté alimentaire du pays en renforçant notre autonomie sur les produits de base (riz, autres céréales, lait, poisson, viande…) Ce plan aidera aussi à stimuler le consommer local, accélérer la souveraineté sanitaire et pharmaceutique afin de rendre ces secteurs plus résilients et plus efficients et enfin, accélérer l’industrialisation de l’économie, notamment dans des secteurs clés de l’agro-industrie et de la pharmacie ». Cette orientation était en cours et la crise russo-ukrainienne est venue la conforter.
Tirant les enseignements de la pandémie du Covid-19, j’ai lancé le 4 janvier 2021, l’actualisation de la politique industrielle, conformément à la directive du chef de l’Etat. La nouvelle stratégie industrielle actualisée, que nous appelons «le Sénégal Industriel», a été validée par le gouvernement en octobre 2021. Elle promeut la substitution aux importation pour assurer la sécurisation alimentaire et sanitaire du Sénégal.

 

Quelles sont les grandes lignes de cette nouvelle politique industrielle?

Cette nouvelle politique industrielle vise à prendre en compte les nouveaux développements technologiques, notamment l’industrie du numérique ou industrie 4.0, la valorisation locale des produits pétroliers et gaziers, à mieux valoriser les produits locaux et assurer le bon positionnement de l’industrie sénégalaise sur les chaînes de valeur régionales ou mondiales compétitives. Nous avons pour ainsi dire, une combinaison de stratégies de substitution aux importations pour assurer notre souveraineté alimentaire et pharmaceutique , avec en plus la promotion des exportations et la valorisation des ressources minérales et des hydrocarbures. Elle prend en compte l’impératif de maximisation du contenu local et de développement de nouveaux pôles de croissance industrielle, à travers un positionnement stratégique sur des chaînes de valeur mondiales et régionales.

 

M. le ministre, existe-il un modèle spécifique au Sénégal en matière d’industrialisation ?

Le modèle d’industrialisation du Sénégal repose sur 4 axes verticaux que sont la transformation de matières premières agricoles, sylvo pastorales et halieutiques; la transformation industrielle des ressources minérales et des hydrocarbures; le développement de l’industrie pharmaceutique et de la pharmacopée; le développement des industries à forte intensité technologique et d’innovation, dont l’économie numérique, les industries d’assemblage et les industries créatives. Pour réussir cette politique, il est fondamental de mener un certain nombre de réformes portant sur l’amélioration de l’environnement des affaires pour l’industrialisation, le renfordement des capacités techniques, technologiques et commerciales des unités industrielles, le développement du capital humain et de l’innovation industrielle, le développement des infrastructures, la facilitation de l’accès au financement et de l’investissement privé et la mise en place d’un cadre de gouvernance.

De multiples plans et outils ont été mis en place par les gouvernements, notamment depuis que vous avez eu en charge ce département, pour stopper la désindustrialisation. Quels sont les résultats ?

 

Quand le Président Macky Sall est arrivé au pouvoir en 2012, il a lancé dans la foulée, le Plan Sénégal émergent (Pse) qui jetait dans son volet industriel, les bases d’une nouvelle dynamique d’industrialisation pour notre pays. Les objectifs industriels du PSE et qui sont consolidés par la nouvelle politique, visaient à amorcer un processus d’industrialisation pérenne qui crée des moteurs d’exportation robustes et d’import-substitution, moteur de croissance économique et créateur de valeur ajoutée et d’emplois massifs et formels. Avant 2012, la politique industrielle en cours, la politique dite du redéploiement industriel élaborée en 2005, ne comportait pas de plan d’actions, ni de plan de financement.
Elle n’avait pas connu de début de mise en œuvre réelle. C’est donc avec le Pse qu’il y a eu une relance industrielle. La stratégie qui sous-tend les objectifs du volet industrie du Pse, était fondée sur la capitalisation des atouts sous-exploités du pays, le renforcement des activités de transformation des ressources, la dynamisation des filières existantes et une meilleure valorisation des ressources et compétences locales. Les trois secteurs prioritaires de l’agro-alimentaire, des matériaux de construction et de l’habillement/confection étaient identifiés. Il fallait aussi, dans ce cadre, créer 2 à 3 zones dédiées (plateformes industrielles intégrées) avec des infrastructures et services performants, des incitations fiscales et financières et lancer des paris industriels dans les domaines de l’électronique grand public, les chantiers navals, l’aéronautique ou l’assemblage de véhicules. De ces orientations sont nés des projets industriels majeurs dont les Agro-poles, les Plateformes industrielles intégrées, le Hub minier, les paris industriels qui sont mis en œuvre aujourd’hui et qui constituent de nouvelles bases d’industrialisation pour notre pays. Pour l’opérationnalisation du volet industriel du Pse, le Sénégal a noué en 2015 un Programme de partenariat pays (Pcp) avec I’Onudi et cet instrument a facilité la mobilisation des partenaires autour des projets industriels phares qui sont repris dans la nouvelle politique et stratégie d’Industrialisation du Sénégal.

Où en êtes-vous dans la mise en œuvre de ces projets ?

Presque tous ces projets ont fini d’être structurés et leur mise en œuvre est en cours. Quand je prends l’exemple des projets Agropoles, au départ nous projetions de réaliser trois agropoles au Nord, au Sud et à au Centre du Sénégal. Aujourd’hui, nous sommes passés à cinq agropoles avec celles de l’Ouest et de l’Est.

Pour l’Agropole Sud qui couvre les régions de Ziguinchor, Kolda et Se-dhiou, le financement, qui est de 56,7 milliards FCfa, est mobilisé à partir de la Banque africaine de développement (Bad) et la Banque islamique de développement (Bid), avec une contrepartie de l’Etat du Sénégal, Ainsi, j’ai lancé les travaux du module régional d’Adéane qui couvrent 85 ha le 20 décembre 2021. Parallèlement aux travaux d’édification des hangars qui vont accueilir les futures entreprises de l’agropole, nous travaillons à l’amélioration de la productivité des filières agricoles prioritaires que sont la mangue, l’anacarde et le mais. Le 04 août 2022, j’ai lancé les travaux de réalisation de l’agropole Ouest qui couvre les communes de Malicounda, Nguéniène et Sandiara, sur une superficie de 1160 ha. Cette agropole qui va coûter 54 milliards FCfa va valoriser nos productions de légumes, fruits, viande, lait et œufs. Auparavant, le 23 mai 2022, j’avais lancé l’agropole Centre, en procê-dant au démarrage des travaux du module régional de Fatick, à Mbellaca-diao. Les filières prioritaires retenues pour cette agropole qui couvre les régions de Kaolack, Kafirine, Fatick et Diourbel, sont l’arachide, les céréales et le sel. Pour l’Agropole Nord qui polarise Saint-Louis, Louga et Matam, nous sommes au stade des études de faisabilité et pour l’Est qui couvre les régions de Kédougou et de Tambacounda, les études seront certainement lancées en 2023.

 

Dans les faits, qu’est-ce qui a été fait pour créer un environnement industriel attractif?

 

Prenons l’exemple des plateformes industrielles intégrées. Le Président Macky Sall a inauguré le 22 novembre 2018, la première phase de la Plate forme industrielle de Diamniadio qui couvre une superficie de 13 ha et financée par l’Etat du Sénégal à hauteur de 25 milliards FCFA. Elle compte actuellement 22 entreprises dont 11 entreprises industrielles et 11 entreprises de services. Pour la deuxième phase de la plateforme industrielle de Diamniadio les travaux ont été lancés par le Président de la République, le 06 juillet 2021. Financée par Eximbank Chine pour un montant de 60 milliards FCfa, elle comprendra 17 hangars qui viendront renforcer la base productive nationale. A côté de la Plateforme industrielle de Diamniadio vous avez le Domaine industriel de Diamniadio qui s’étend sur environ 150 ha et compte aujourd’hui 35 entreprises fonctionnelles. 112 autres entreprises sont en cours d’installation. A terme, ce domaine va être le plus grand site industriel du Sénégal. A côté des plateformes industrielles et des agropoles, nous travaillons à la mise en œuvre de projets structurants comme le hub minier régional dont j’ai clos l’atelier de structuration le 6 octobre passé. Nous allons très prochainement lancer le recrutement du partenaire stratégique pour passer à la réalisation du projet, en PPP. Il en sera de même pour la stratégie Cuirs et Peaux qui vise à faire du Sénégal le hub africain du cuir. Le dernier projet dont l’étude de faisabilité devrait être terminée en décembre au plus tard, est le Pari industriel automobile. Vous pouvez donc constater que tous les projets du volet industriel du Pse sont lancés et en phase de mise en œuvre.

 

Le Sénégal va devenir, sous peu, un pays pétrolier. On parle même de first-oil pour 2023. Quel rôle votre ministère va jouer dans ce cadre ?

 

La nouvelle stratégie d’industrialisation a identifié les actions à mettre en œuvre pour développer une industrie nationale autour des hydrocarbures.
Ainsi, il s’agira d’opérationnaliser le dispositif prévu dans la Loi sur le contenu local. Concernant l’appui aux initiatives privées de transformation des ressources minérales et des hydrocarbures, la priorité sera accordée au renforcement des unités industrielles existantes et le développement de nouvelles unités de transformation, notamment de l’or, du zircon et du phos-phate, dans les pôles miniers. Pour l’or, la mise en place d’une raffinerie à petite échelle semble prometteuse. Pour le zircon, la transformation locale du zircon est une niche, avec un marché global qui représente 2,5 milliards de dollars américains et affiche une croissance de 6,3 % par an à l’horizon
2024. Le Hub minier régional dont je viens de parler et qui vise à faire du Sénégal un centre de référence pour les opérateurs miniers établis en Afrique de l’Ouest est aussi un mécanisme d’intervention du ministère pour promouvoir également l’industrie pétrolière et gazière. Sur un autre plan, tex-ploitation des hydrocarbures va bénéficier à notre industrie nationale qui pourrait ainsi entrevoir des baisses sur la facture d’électricité qui est l’un de postes de charges le plus important au sein des entreprises.

 

Quel bilan tirez-vous de la politique industrielle du Président
Macky Sall?

Le bilan est largement positif, si l’on en juge de par les chantiers et les grands projets industriels qui sont lancés. Je dois rappeler à ce niveau que l’Etat n’a pas pour rôle premier de créer des industries, mais sa mission consiste à créer les conditions favorables pour un développement industriel inclusif et durable, à travers notamment l’aménagement de sites industriels fonctionnels et des mesures incitatives pour rendre compétitives nos entreprises. De ce point de vue, le Président Macky Sall a tracé la vision, mis les moyens nécessaires et nous sommes chargés de la mise en œuvre. Nous allons maintenir la cadence et 2023 sera une année d’inaugurations. Ce sera l’occasion de montrer le bilan positif du Président Macky Sall dans le secteur de Fin-dustrie. Vous verrez sortir de terre de nouvelles usines, à travers la plate forme et le Domaine industriel de Diamniadio mais surtout-dans les différents sites des agropoles.

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