Sénégal : bracelets électroniques, un outil au service de qui ?
Sous la présidence de Macky Sall, l’État sénégalais a engagé plusieurs milliards de francs CFA pour acquérir des bracelets électroniques. L’objectif affiché était noble : désengorger les prisons surpeuplées, réduire les longues détentions provisoires et moderniser le système judiciaire.
Mais, cinq ans après, le constat est amer. Les bracelets électroniques semblent profiter davantage aux élites politiques et économiques mises en cause dans des dossiers financiers qu’aux détenus issus des couches populaires.
Une facture lourde pour l’État
Dès 2020, le gouvernement avait annoncé un budget oscillant entre 3 et 5 milliards de FCFA pour l’acquisition de 1 000 à 2 000 bracelets électroniques. (dakaractu.com)
Par la suite, l’ancien ministre de la Justice Ismaila Madior Fall a affirmé que près de 6 milliards de FCFA avaient finalement été dépensés pour l’achat de 1 000 bracelets, matériel technologique compris. (pressafrik.com)
Aujourd’hui, le stock disponible est évalué à 1 000 bracelets, mais seuls 244 sont effectivement portés. (directactu.net)
Une prison pour les pauvres, une assignation à résidence pour les puissants
Pendant ce temps, les prisons sénégalaises restent saturées. En août 2025, le pays comptait environ 15 267 détenus pour une capacité officielle de 4 924 places, soit un excédent de près de 8 000 prisonniers. (aps.sn)
Près de la moitié de ces détenus sont en détention provisoire, et environ 547 y restent depuis plus de trois ans. (apanews.net)
Pourtant, les principaux bénéficiaires des bracelets ne sont pas ces jeunes accusés de délits mineurs, mais plutôt des figures politiques et économiques mises en cause dans des affaires de détournements ou de gestion frauduleuse. Ironie du sort : ce sont ces mêmes dirigeants qui, hier au pouvoir, avaient commandé ces dispositifs. Une question se pose : se préparaient-ils à s’en servir pour éviter les geôles qu’ils redoutaient ?
Le cas des oubliés de la justice
Le contraste est flagrant. Des jeunes comme Serigne Modou Mbacké Fall, dit Momo Taylor, accusé de détention de stupéfiants, continuent de croupir en prison dans un état de santé préoccupant, clamant leur innocence. Ils subissent le poids d’un système pénitentiaire saturé, sans perspective de bénéficier d’un bracelet électronique.
À l’inverse, des personnalités impliquées dans des scandales financiers majeurs obtiennent des libertés provisoires rapides, parfois assorties d’un bracelet qui leur permet de rester chez eux, loin des conditions dégradantes des prisons sénégalaises.
Une justice à deux vitesses
Le dispositif censé incarner la modernisation de la justice risque de devenir le symbole de son iniquité. D’un côté, les « petits » délinquants paient de leur liberté ; de l’autre, les grands délinquants paient de leur fortune.
En théorie, la balance de la justice devrait peser également pour tous. En pratique, elle semble forgée de deux métaux :
de l’or pour les puissants, polis par l’argent et les avocats bien rémunérés ;
du plomb pour les pauvres, alourdis par l’absence de moyens et l’indifférence générale.
Une réforme à repenser
Les bracelets électroniques n’étaient pas une mauvaise idée en soi. Mais leur gestion, leur ciblage et leur utilisation révèlent les failles d’un système judiciaire qui peine à concilier équité et efficacité. Tant que les priorités ne seront pas réorientées vers ceux qui en ont le plus besoin — les milliers de détenus provisoires et condamnés pour délits mineurs —, ce dispositif restera perçu comme un privilège réservé aux élites.
Conçus pour humaniser les peines et désengorger les prisons, les bracelets électroniques sont en passe de devenir le symbole d’une justice sélective : une justice qui protège les puissants et abandonne les faibles.
Par Baye thierno ka
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